Première nuit, deuxième jour

Deuxième étape : Péronville Villechauve / 83,61 km, D+462m, 5h19…

Drôle de nuit. Endormi à la vitesse de l’éclair sur une couche d’accueil assez peu accueillante, je me réveille en sursaut vers onze heures du soir en pensant avoir fait ma nuit. Avant de me rendormir jusqu’à quatre heures du matin.

Il n’a pas cessé de pleuvoir depuis que je me suis couché et la pluie devient plus forte encore. C’est alors que je m’aperçois que je n’ai pas parfaitement fermé le double-toit de la tente et que l’eau pénètre à l’intérieur, et tombe sur mes pieds ! Quel imbécile… Branle-bas de combat !  En un saut, je me redresse pour stopper « l’inondation ». Je dors déjà à la dure, sans sac de couchage, ce n’est pas la peine d’en rajouter. J’assure l’étanchéité de la tente, ôte mes chaussettes mouillées et je plonge dans un grand sac poubelle renforcé que j’ai emporté avec moi, par un heureux hasard.

Je tourne un peu dans ce sac de couchage de fortune, puis me rendors. Pour toute tenue de nuit, je porte un t-shirt, un haut de jogging moulant à capuche et un bas de jogging. Il fait décidément froid cette nuit. Et l’humidité et la fatigue jouent le rôle d’amplificateurs. J’enfile un coupe-vent en plus, pour conserver cette chaleur que mon corps produit, plutôt que de se consacrer à la régénération musculaire.

Je suis réveillé par les oiseaux à intervalles réguliers jusqu’à sept heures. Ils célèbrent le lever du jour et le soleil qui a gagné son combat contre la nuit. Qui dit que les oiseaux ont disparu ? Dans les villes peut-être, mais pas dans nos campagnes. J’en ai croisé un grand nombre hier, bien cachés dans les champs ou parfois hauts dans le ciel.

En attendant de déjeuner, je plie progressivement mon campement. Et ce n’est pas facile lorsqu’il pleut. Je prends donc le parti de ramener en plusieurs voyages mon attirail sous le grand préau à l’entrée de la ferme de Villequoy. En trois allers-retours l’affaire est faite. Sur le dernier retour, je suis hélé pour partager un petit-déjeuner avec ma famille d’accueil.

Au fil des conversations, j’apprends que, si le petit parisien que je suis prend la clef des champs pour aller voir la mer, cette charmante petite famille s’apprête à se rendre sur Paris pour y passer quelques jours et assister au défilé du 14 Juillet !

Café, pain, beurre, confiture de coing (je préférais celle à la fraise de Véronique), puis vient le temps de nous quitter. J’accepte de bon cœur le pain et le melon qui m’est offert pour ce midi puis retourne sous le préau ou je replie ma tente qui a (un peu) séchée. J’équipe mon vélo, salue mes bienfaiteurs de la main et franchis le porche.

En me retournant, je constate que le calvaire qui se trouve à l’entrée de la ferme porte sur son socle la coquille chère au cœur de ceux qui parcourent le chemin de Saint Jacques de Compostelle. Dès lors, la gentillesse de mes hôtes, leur accueil simple, vrai et amical, vient s’inscrire dans une logique plus grande qui s’impose à moi : quelque soit son trajet et sa motivation, le pèlerin trouvera un accueil là où se trouve la coquille, ne serait-ce parce que son chemin intrigue, surprend ou inspire. Emprunt de courage et parfois d’insouciance, portant l’espoir de se rencontrer et de rencontrer les autres en retour, celui qui chemine reste une énigme.

Et ce matin, alors qu’il pleut, que le ciel est gris et que je reprends la route, je me demande à nouveau « pourquoi ? ». Pourquoi suis-je parti seul ? Pourquoi dormir dehors ? Pourquoi une telle mise à l’épreuve, en prenant le strict minimum ? A toutes ces questions, et à bien d’autres encore, la réponse est toujours la même : LIBERTE !

Dans le pays des Droits de l’Homme et de la Liberté, que nous reste-t-il vraiment de nos libertés ? Le « droit à » et le « droit de » ont remplacé le principe de La Liberté, plus fort que tout. En encadrant strictement les droits et les devoirs des citoyens, c’est une laisse et une muselière qui nous sont posées, dans la légitimité du bon droit. La majorité de la population ne s’en aperçoit pas et le reste feint de ne rien voir ou s’en satisfait. Alors, avec ce périple, j’ai momentanément l’impression de pratiquer une petite « rébellion », en cassant gentiment les codes et en tentant de sortir du moule dans lequel je vis.

Pour ce deuxième jour, j’ai quatre-vingt-cinq kilomètres à parcourir. Je pars donc sous la pluie, avec ma cape. Je la garderais au moins soixante kilomètres. Et lorsque je la retire, je m’aperçois qu’il ne fait vraiment pas chaud lorsque l’on roule avec un maillot trempé par la sueur. Parce que malgré mes efforts pour tempérer la cadence, la sortie des plaines de la Beauce n’en finit pas d’alterner côtes et descentes, tandis que le vent souffle constamment.

Quelques animaux morts sur le bas-côté me rappellent l’impact que nous avons sur notre environnement et la nature. Lapins, belette, hérissons, serpent… Et nombres d’autres, bien vivants, m’émerveillent : lapin, faon, renard et même une aigrette blanche qui m’attendra sur mon point d’arrivée.

J’ai déjà bien avancé ce matin. Et j’ai pris soin de m’arrêter dans une épicerie déserte pour faire le plein (jambon, gruyère et bière !) pour ce midi et ce soir. Car j’ai fait mon calcul et je devrais être à Ecoman pour déjeuner sur le banc public, face à l’église.

Sans que cette descente vers la Vendée ne soit un pèlerinage, elle a tout de même des airs d’un petit Compostelle personnel. Alors quoi de plus normal que d’aller frapper à la porte du n°8 de la grande rue dans la mesure où cette maison abritait, il y a encore cinq ans, celui qui était le maire du bourg et qui nous avait offert une hospitalité surprenante, allant jusqu’à nous permettre de nous doucher chez lui ?

J’ai pris avec moi un exemplaire de nos récits de 2016 que je souhaite lui remettre. La troisième étape de l’époque fait état de ce que nous avons vécu avec lui. Mais personne ne répond lorsque je frappe à cette porte. Je réitère et pour toute réponse je reçois le silence. Je me rends alors compte que je suis sur « mon » chemin. Ce n’est pas celui que Fabrice et moi avons parcouru par le passé. Je n’ai donc pas de légitimité à retrouver celui qui, alors que j’étais blessé, m’avait déposé en voiture à Crucheray.

Et toujours me revient en tête « long is the road, hard is the way ». J’accumule les kilomètres avec ce pédalier qui refuse la première vitesse et que je maudis dans chaque côte. A Saint-Amand-Longpré, on s’active sur la place municipale car demain c’est la Fête Nationale. En attendant, le boulanger est parti en vacances, comme l’indique la devanture de sa boutique. Tant mieux pour lui. Tant pis pour moi. Le sandwich jambon gruyère de ce soir n’aura jamais aussi bien porté son nom, avec le jambon dans le rôle du pain.

Je compte les kilomètres qui me séparent de mon point d’arrivée comme un compte à rebours. Je les avale. Et je touche au but. A Villechauve. Sous la pluie.

Ce qui devait être une étape sous forme de clin d’œil à mon dernier partenaire potentiel, Alexandre Loriot, sonne avec une pointe de regret. Pourtant, ici je suis bien. Je suis allé à la mairie quérir l’autorisation de m’installer près d’un petit étang, avec un grand préau et des sanitaires et j’ai été exaucé. Commence alors le ballet de l’installation du campement.

Ici je serai au sec. Et j’en suis ravi. Je regarde les averses qui se succèdent, les unes après les autres, après de courtes accalmies. Je monte la tente, dresse l’oriflamme et prends un selfie de mon check avec une canette de 8.6, seule bière trouvée dans l’épicerie de ce matin.

Ici, il n’y a pas de commerce. La France profonde et rurale dans son plus grand dénuement. Ici encore, les jeunes font de la moto, vont sur Tiktok en se lamentant de voir les bars fermer les uns après les autres, à l’image de ce café-supérette dénommé « Le Mexique », dans lequel j’avais fait mes « courses » cinq ans plus tôt et qui n’existe plus.

Cette désertification, c’est ce que me raconte Ludo, qui est venu faire courir son chien sur l’aire de jeux et de détente à proximité de l’endroit où j’ai posé mes affaires. Nous discutons. Nous nous trouvons quelques affinités concernant la situation politique, sociale et sanitaire de la France. Notamment en ce qui concerne l’obligation vaccinale qui pointe le bout de son nez.

Ludo a garé sa camionnette à proximité. Il se propose d’aller y chercher deux bouteilles de Goudale. Je ne peux pas dire non à cette proposition et à la promesse d’échanges qu’elle recèle, en toute sincérité, sans a priori ni jugement. Nous discutons durant une heure, avant qu’il ne reparte en ayant pris mes coordonnées via la page Facebook de l’Avocat à la Course.

Cet ancien militaire de quarante-six ans, aujourd’hui artisan dans l’ameublement de magasins m’a ému. Emu par une forme de lucidité désabusée concernant notre société. Emu par son envie de vivre, de boire, de baiser et de fumer sans avoir de compte à rendre… à l’image de son chien qui ne va chercher la balle « que s’il le veut ».

Ludo me propose du lait frais pour demain matin. Il est allé en chercher à la ferme. Je rince une bouteille de bière qui fera l’affaire de contenant. Puis il s’en va. Un dernier coup de klaxon et la vie poursuit son cours, pour lui comme pour moi.

J’espère une journée moins pluvieuse demain. Pourtant, rien ni personne ne me la promet. Je file me coucher avec Jack Kerouac après avoir effectué un brin de toilette. Il n’est que vingt heures vingt mais je suis épuisé. Aujourd’hui encore, je n’aurais pas chômé. Malgré la pluie.