«La route, c’est la vie…»

Jack Kerouac « On the road »

Quatrième étape : Benais Moncoutant : 112,67 km, D+888m, 6h29…

Grosse journée que celle qui se prépare et à laquelle je vais devoir faire face. Après deux jours avec un kilométrage réduit (85 et 75 kilomètres), je repars sur une distance de 115 kilomètres…

Mais pour bien commencer, Anne ne vient me réveiller « qu’à » six heures quarante-cinq, au lieu des six heures initialement prévus ! Et ces trois-quart d’heure de rab’ ne sont pas de trop au regard de la fatigue accumulée ces trois derniers jours. Un petit verre d’eau avalé au pas de charge, un brossage rapide des dents, la récupération de mes vêtements propres et secs et nous filons vers le chai. Là-bas, nous déjeunons.

Anne aussi a une grosse journée devant elle : sept à huit heures de traitement des vignes l’attendent. Car elle veut profiter du beau temps enfin annoncé. En attendant, je constate que les nuages sont toujours là, et bas. On dirait une fin de mois d’août en Vendée. La chaleur en moins.

Nous petit-déjeunons en discutant de son travail, de mon parcours, de sa santé, de la mienne. Puis vient le moment de nous quitter. Nous nous promettons de nous revoir fin septembre, pour les vendanges. Un dernier selfie et je repars.

Le vélo est prêt pour effectuer les prochains kilomètres. Moi aussi. Je dévore les kilomètres qui se présentent sous mes roues, en l’absence de vent et de côtes. Je me régale. Les trente premiers sont réalisés en un temps record. J’ai traversé et laissé derrière moi la Loire et la Vienne.

Le soleil finit par percer le ciel nuageux. Et chauffe. Et persiste. Je m’astreins alors à me couvrir de crème solaire toutes les cinquante minutes. Le bronzage cycliste, façon vanille-fraise, très peu pour moi ! Je surveille également mon hydratation. Hier, je n’ai pas assez bu…. d’eau. Mon chemin m’amène dans des bourgs et villages déjà traversés sous la pluie il y a cinq ans.

Je pense à Fabrice qui m’accompagnait, puis à mon frère, parti depuis plus de dix ans, à mon épouse et mes filles, à mes parents et aux amis chers à mon cœur. Mon esprit vagabonde. Je chante. Encore. Je médite. Plus rarement. Je réponds aux oiseaux en sifflant. Le tout sans me trémousser sur ma selle, pour cause de douleurs malvenues (et très mal placées) nées au fil des heures. Pourtant la crème apaisante, appliquée hier soi,r a fait une bonne part du travail de régénération que j’attendais d’elle et a atténué une bonne partie de l’irritation. Par ailleurs, comme chaque matin, je me suis enduit avec la crème anti-frottement que le magasin GIANT de Sucy m’a offert. Je reste donc sagement assis et j’évite de me lever pour un rien.

Ici, tout est vert et l’été ne semble pas avoir encore mordu dans la végétation. Nulle trace de sécheresse ou d’herbes sèches. La région est belle et vallonnée. Je suis loin des plaines de la Brie ou de la Beauce. Au sortir d’une bourgade, je me retrouve sur une route qui m’avait particulièrement marquée lors de mon périple à pied. C’est sur cette route, il y a cinq ans, que j’avais rencontré le « flow ». Le flow, c’est cet état de grâce où l’être est suspendu, conscient de l’effort qu’il produit, dans la facilité, sans que rien ni personne ne puisse s’interposer. Comme l’eau de la rivière qui coule en contournant les rochers. Je me revois courir, vêtu de ma cape de pluie rouge, tantôt loin devant Fabrice, tantôt loin derrière. « Élégant, Facile, Léger », comme le voulait mon mantra de l’époque.

A cet instant, je suis à la fois ici et là-bas. Dans l’instant présent et dans le passé. Et à midi vingt, je suis déjà à Thouars, au restaurant « O Diable Thym », tenu par des amis. Pour le moment, je suis le second client dans l’établissement. Nous en profitons pour nous retrouver et discuter. Puis Philippe, en bon chef cuisinier, insiste pour me faire à manger. Mais je crains que ce déjeuner ne m’alourdisse considérablement pour les soixante kilomètres restants. Très gentiment, il me propose des pâtes, accompagnées de lardons et de morceaux de cantal… Le tout accompagné par une Affligem fraichement tirée que Sylvie me sert.

Je me régale. Et comme il n’y a pas encore affluence, nous en profitons pour voler au temps quelques minutes de plus pour discuter des affaires en cours. Car ici, je suis aussi leur avocat, à la course, ou pas. Alors que les tables se remplissent peu à peu, nous nous quittons sur la promesse de nous revoir cet été, pour partager un plateau de fruits de mer.

Et je reprends à nouveau la route. Le gros du parcours est déjà derrière moi. Je veux me concentrer sur le moment présent. Je ralentis la cadence. Je traverse Thouars. La ville est belle sur ses hauteurs. Puis je prends toutes les petites routes qui s’ouvrent devant moi. Je m’arrête faire des photos. Mettre de la crème solaire. Respirer l’air. Je tiens dans mes mains un morceau de ma vie.

En arrivant sur les étangs Pescalis ce soir, je retrouve avec plaisir la cabane de pêcheurs dans laquelle nous avions dormi, il y a cinq ans. Rien n’a changé. Non, ce n’est pas un pèlerinage. Mais je voulais venir dormir ici, profiter du calme et de la nature, quelques heures durant, écouter les grenouilles et voir les carpes sauter au ras de l’eau.

J’y suis. J’y suis bien. Quelques photos, quelques mots échangés au téléphone avec Valérie, quelques mots sur Facebook pour dire à ceux qui me suivent que je suis bien arrivé, au terme de cette quatrième étape…en espérant que ma mère ne les lira pas avant demain soir.

Car demain soir, nous nous retrouverons tous. Je retrouverai mes parents, qui ignorent tout de cette aventure et auxquels je veux faire la surprise. Je retrouverai ma famille, venue déposer le chat qui prend ses quartiers d’été en Vendée et récupérer au passage l’avocat à la course qui a eu l’idée farfelue de descendre à vélo. Demain, je retrouverai vraisemblablement aussi les amis de l’Océanide Bar et les autres. Pour quelques jours. Comme un avant-goût de vacances… Comme un arrière-goût d’aventure… qui pour l’instant se poursuit.

Face aux étangs, je m’installe pour diner et rédiger ces quelques lignes. L’étape a été longue. Le résumé sera court. Et bientôt le soleil se couchera et les grenouilles entameront leurs chants d’amour.

2 réflexions sur “«La route, c’est la vie…»

  1. Ah quelle belle aventure, pleine de rencontres,
    Pleine d’humanité.
    Si bien résumée arnault !!
    À très vite autour d’un beau plateau de fruits de mer, accompagné d’une bouteille de Don Perignon. Que du bonheur !!

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