Chaque chose a une fin.

Dernière étape : Moncoutant La Tranche-sur-Mer : 96,95 km, D+670m, 5h18…

Ce qui précède un dernier jour sur le vélo, c’est une dernière nuit sous la tente. Étonnamment, ce soir, à Moncoutant, il fait chaud. C’est relativement étonnant pour un 16 juillet mais ça l’est tout de même après les journées de pluie qui se sont succédées.

Je suis allongé sur ma couche d’accueil et j’ai repoussé à mes pieds le sac poubelle grand format qui me fait office de duvet depuis mon départ. Je le garde à proximité, dans l’hypothèse où la nuit fraîchirait. Au cas où…

Je lis Kerouac. « Sur la route ». Je suis happé par le texte. Par la liberté de cet homme, ouvertement assumée, sans compromis… « quoi qu’il en coûte », pour reprendre une expression présidentielle à la mode. Je suis avec Jack, à ses cotés dans cette voiture qu’il convoie, du moins jusqu’à ce que des pêcheurs nocturnes décident de taquiner la carpe aux abords de mon logis mobile.  Je ne sais pas à quelle heure leur pêche a pris fin. Trop fatigué, j’ai refermé mon livre, éteins la lampe frontale et entamé ma nuit dans la minute qui suivait.

Six heures et demi. Je suis réveillé. Je traine « au lit » encore une demi-heure. Dehors, les oiseaux chantent. Cela change du coassement des grenouilles amoureuses de la nuit passée. Le soleil est déjà bien présent, même si le jour est encore frais. Un grand ciel bleu est tendu au-dessus de ma tête. La journée va être belle… et longue. Car 100 kilomètres m’attendent aujourd’hui.

J’attrape mon cuissard et mon maillot et je les glisse sous moi, pour les réchauffer un peu avant de les enfiler. Je m’amuse de cette méthode que je pratiquais déjà enfant pour réchauffer mes vêtements, lorsque ma chambre me semblait froide. Cette technique « d’indien », voilà bien longtemps que je ne l’avais plus utilisée. A tel point que je l’avais presque oubliée.

Tout est silencieux. Je sors de la tente lentement. Je m’étire. Je profite de l’instant. Les étangs sont calmes. Et il n’y a personne d’autre que moi, aux alentours, pour profiter de ce petit matin. Je décide de commencer par la préparation du vélo et je replie progressivement ce que je sais être le dernier campement. Je suis pleinement dans l’instant présent. Puis je déjeune, le visage face au soleil qui me salue. Je regarde d’un œil distrait cette carte « n°5 » pour m’imprégner des noms des bourgs, lieux-dits et communes que je m’apprête à traverser.

Je fais le plein d’eau dans les improbables toilettes automatiques installées là depuis des années. Un brin de toilette, application de la crème anti-frottement, prise d’anti-inflammatoire par voie orale et en crème sur mon tendon d’Achille gauche. Parce que, pour ce deuxième matin d’affilée, mon entre-jambe est devenu douloureux et mon pied semble fragilisé. Pourtant, je me suis appliqué à boire beaucoup d’eau pour éviter l’inflammation des tendons et ligaments.

Mais il faut reconnaître que je n’ai pas sérieusement préparé cette aventure : en effectuant seulement quatre à cinq sorties de vingt à trente kilomètres, je n’ai pas préparé mon corps au choc des kilomètres qui s’accumulent. J’ai pensé qu’avec la préparation physique générale que je pratique chaque jour depuis six mois, le corps et le mental seraient prêts. Erreur. Pourtant, dans l’instant présent, je sais que je suis capable d’aller au bout.

Il est huit heures trente lorsque je pars. Je fais le tour des étangs et découvre des activités de spa, hôtellerie et restauration que je n’imaginais pas exister ici. Rapidement le soleil brille fort. Et tout aussi rapidement, je me trompe de chemin. Par trois ou quatre fois, il me faudra m’arrêter pour chercher ma route, lire et relire la carte, pour finir par la demander aux gens que je croise. Je reprends la route. Je me perds à nouveau. Mais que ce passe-t-il pour que je me perde autant ? Est-ce parce que je suis presque « chez moi » que je manque d’attention ? Peu importe. Je ne suis pas attendu. Le temps est mien.

Pour la première fois depuis cinq jours, j’ai le plaisir d’avoir le vent dans le dos ou par trois-quarts arrière ! J’avale les kilomètres, malgré les côtes et la fatigue. J’enchaine également les longues descentes à pente faible. Et je profite du paysage. Ici les agriculteurs ont commencé à faucher les blés, profitant des deux derniers jours de soleil qui ont séchés les champs. Rapidement, j’entre en Vendée. Me voilà dans le département d’arrivée. Je me sens grisé. Cela sent l’écurie et les chevaux sont lâchés !

Pourtant, régulièrement, j’ai des douleurs qui se manifestent au talon d’Achille gauche. Cela ne passera pas tout seul. Mais cela ne m’empêchera pas non plus d’avancer et je sais déjà qu’il est trop tard pour que quoi que ce soit puisse m’empêcher d’arriver aujourd’hui. Et puis j’enchaîne de belles descentes qui sont autant de temps de repos pour mon corps fatigué.

Vers midi, je suis à Sainte-Hermine. Je me trompe une énième fois de chemin, suite à une erreur d’interprétation du plan. Si bien qu’au bout de la route, je trouve un camp de gitans. Persuadé qu’il me faut le traverser pour retrouver la voie principale, je franchis l’entrée du camp marqué par un sens interdit posé au sol.

Les roulottes et caravanes sont ouvertes mais personne n’en sort sur mon passage. Je roule au pas. Et je décide de prendre les devants :

– « Bonjour. Il y a quelqu’un ? Il y a quelqu’un ? »

Aucune réponse. A hauteur de chaque caravane, je pose ma question. Puis d’une des magnifiques maisons sur roues sort une femme blonde d’une quarantaine d’années, les bras remplis d’un duvet qu’elle entreprend d’aérer. Elle me regarde étonnée et répond à ma question d’un hochement de tête que je prends pour une autorisation en bonne et due forme. Arrivé au bout du camp, la route bitumée s’arrête pour laisser la place à un chemin de terre, séparé par un petit fossé que je décide de franchir, pour poursuivre ma route.

Au fil des kilomètres, j’ai compris ce que Fabrice avait dû endurer au cours de notre périple commun d’il y a cinq ans : avec notre chariot surnommé « BB9 », chargé à bloc, les côtes lui avaient mis les genoux en compote. A une moindre échelle, je mesure mes douleurs. Certes, j’ai moins de poids à tracter qu’il n’en avait, mais j’avance beaucoup plus vite. Et j’ai l’impression d’avoir un peu bâclé mon itinéraire en terme de dénivelé.

Ici, les champs sont bordés par des pruniers couverts de fruits jaunes que les arbres déposent sur le bord de la route, au gré du vent et de leur murissement. Des milliers de petites prunes jonchent les bas-côtés. C’est là que je décide de m’arrêter pour déjeuner. Et je passe derrière une haie pour m’installer dans un champ, le dessert à mes pieds.

Pas une voiture. Les oiseaux uniquement. Allongé à l’ombre, dans l’herbe, je goûte ces prunes en guise d’apéritif. Elles me semblent manquer de sucre mais sont très parfumées et me restituent comme une saveur de liberté. Mon déjeuner est frugal : je finis un paquet de chips acheté il y a trois jours, puis je dévore le jambon de pays et le fromage offerts par Philippe et Sylvie à Thouars.

Je sais que mon corps est fatigué, même si mon esprit ne l’est pas. Je le sens. Alors, je laisse passer une heure, tantôt assis, tantôt couché dans l’herbe. Je suis déjà chez moi dans ce champ. Je sais aussi que j’ai réussi ce nouveau « défi » et je me remémore en souriant les heures difficiles à pédaler sous la pluie, l’humidité sous la tente lors de la première nuit, les côtes qui cassent les jambes et le vent de face. La solitude, le soir. Autant d’épreuves dans lesquelles pourtant j’ai su trouver des points positifs et qui me renforcent, un peu plus.

Les dernières heures de route me promettent un soleil cuisant. Toutes les cinquante minutes, je m’arrête pour boire et me badigeonner de crème solaire. Lorsque j’arrive à Grues, je sais que je suis dans la dernière ligne droite. J’appelle Franck, propriétaire du bar L’Océanide à la Grière, chez lequel j’entends arrêter mon chrono final, comme il y a cinq ans. Son établissement est à une vingtaine de minutes lorsque je l’appelle pour l’informer de l’imminence de mon arrivée. Je lui indique que je vais trainer un peu, pour profiter de la fin de l’aventure. Et je profite du moment pour réinstaller l’oriflamme. Avec le vent dans le dos, j’ai l’impression d’avoir largué un spinnaker ! Que n’ai-je pu profiter plus tôt d’un vent si clément ?

Dans quelques minutes, je remettrai les pieds sur terre. Au propre, comme au figuré.

Me voilà donc chez Franck, dans la foule et l’anonymat le plus total. Contrairement à ce que nous avions vécu lors de notre arrivée de 2016. Mais cela me convient parfaitement et c’est avec plaisir que je m’avance jusqu’au comptoir pour venir saluer mes amis. J’en ai plein les bottes. Mais je suis heureux. Nous partageons un verre, puis deux, et je prends congé après avoir fait avec Franck la photo selfie de l’arrivée d’étape.

Il me reste cependant un beau moment à vivre : faire la surprise à mes parents de cette arrivée à vélo. Car si j’ai pris grand soin de ne (presque) rien publier sur la page Facebook de « l’Avocat à la Course », c’était essentiellement pour surprendre mes parents. Or ma mère est « connectée ». Et si certains amis et membres de la famille sont informés de ce challenge, nombreux sont ceux qui ne l’apprendront qu’une fois le chemin parcouru. Ce qui réduira les risques de fuites… J’ai mis le vélo sur sa béquille, derrière moi. Je sonne à la porte et j’entends mon père qui se manifeste.

Lorsqu’il ouvre, son premier mot reflète sa satisfaction de me voir, alors que je ne devais arriver, avec la famille, que dans la soirée. Dans un grand sourire, il m’adresse un « déjà ? » plein de surprise et de douceur. Puis il cherche du regard, derrière moi, la voiture, Valérie et nos filles, avant d’apercevoir ma tenue et le vélo.

– « Je suis venu à vélo. Je suis parti lundi matin. Les filles arrivent ce soir. »

En trois phrases, je lui ai délivré l’essentiel d’un message qui le fait rire. Un rire de surprise, rempli d’émotion et de bonheur.

– « Tu es exceptionnel. »

Rires encore. Et encore. Ma mère se joint à nous. Elle m’embrasse. Elle est heureuse de me voir. Elle a l’air moins surprise que mon père. Je me demande dans quelle mesure elle n’a pas été informée de ma venue par sa sœur qui connaissait mon aventure. J’apprendrais plus tard que sa coiffeuse lui avait touché un mot le matin même des dernières parutions Facebook. Je ne connaîtrais pas le fin mot de l’histoire. Cela ne m’intéresse pas. La vie est ailleurs. Et l’aventure aussi…

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